Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/373

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était-ce obéir au désir sacré de la morte, de celle dont elle avait pris la place, et qu’elle avait juré, qu’elle s’était juré de remplacer ? La conscience d’Elisabeth lui répondait bien que non. Mais la marâtre une fois éveillée ne s’endort pas si vite. Détour étrange d’une sensibilité trop malade, la vivante éprouvait, pour cette morte, dont les enfants vivaient tandis que le sien n’était plus, cette âcre jalousie rétrospective qui corrompt de son poison tant de seconds mariages, et fait, des meilleures créatures quelquefois, les plus implacables, les plus inconscients des bourreaux. Précisément parce que cet internat au collège et au couvent avait dû être un des cauchemars de la mourante, la belle-mère y goûtait un obscur attrait de vengeance… Et elle sentait aussi que ce n’était là qu’un commencement, un premier pas sur une route de cruauté où elle ne s’arrêterait plus… Le père reviendrait. Que lui dirait-elle ? Ici la tentation se faisait plus coupable encore. La belle-mère était le seul témoin que les enfants eussent auprès du marin absent. Il était si aisé d’écrire à cet homme qu’elle n’avait pu continuer de les garder, à cause de tel ou tel défaut. Elle n’aurait même pas besoin de mentir. Le petit garçon était naturellement colère, la petite fille naturellement répondeuse. Jusqu’ici Elisabeth s’était toujours mise, comme eût fait la mère, entre les fautes des orphelins et les sévérités de l’officier. Qu’elle agît autrement — n’était-ce pas son droit ? — et l’envoi au collège et au couvent paraissait si simple, si utile, si indispensable !…