Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/44

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d’hépatite, je ne leur avais jamais appliqué cette acuité d’observation qui se développe en nous par notre métier. Ce fut comme si le fils s’abolissait en moi tout d’un coup pour céder la place au clinicien… Il m’est très difficile de t’expliquer un état qui n’a sans doute pas d’analogue. Je vais te le faire comprendre pourtant : si la faculté professionnelle n’était pas à de certains moments comme endormie chez nous, aucun médecin ne serait jamais amoureux, et si, d’autre part, cette faculté une fois éveillée ne dominait pas tout l’homme, aucune jolie cliente ne serait en sûreté auprès d’un médecin. Je ne connais pas d’exemple qui montre mieux de quel dédoublement notre éducation technique nous rend capables… Je constatai donc, au cours de cette crise d’analyse, que mon père et ma mère étaient plus touchés que je ne l’avais remarqué jusqu’ici, et chacun dans la donnée de son tempérament. Lui est en train de faire du mal de Bright, elle de faire de la maladie de foie. Mais passons. Je t’épargne le détail d’une enquête dont le seul intérêt pour ce que j’ai à te demander est dans le résultat : j’en arrivai à la conclusion qu’il y avait dans leur existence un principe de souci caché, et que je n’avais jamais soupçonné… »

— « Un souci dont tu ne sois pas l’objet ? » interrompis-je ; « moi aussi je les ai regardés, tes pauvres parents. Ce n’est pas possible… »

— « Mais écoute donc, » reprit-il avec impatience. « Il y a huit jours, au sortir de l’hôpital, — je fais un intérim à l’Hôtel-Dieu, — ces idées m’obsédaient