Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/57

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attristée du visage racontait la déchéance sociale et personnelle plus sincèrement que tous les aveux. Le réfractaire avait à peine dressé la tête à mon entrée. Quoiqu’il fût tard dans la matinée, toutes choses, dans ce taudis, étaient demeurées telles quelles. Une couverture de laine déchirée traînait sur une paillasse tassée dans un coin, véritable chenil que le dormeur avait dû quitter pour faire un déjeuner dont je pouvais voir sur une table en bois jadis blanc les tristes débris : un chanteau de pain dont il avait arraché la mie en laissant la croûte, faute de dents pour la mâcher, et un reste de fromage d’Italie dans du papier graisseux. Cette charcuterie au rabais lui avait été ce que les poètes contemporains de Louis XIII appelaient un éperon à boire d’autant, car un litre vide était auprès, qui avait dû contenir du vin blanc, à en juger, non point par le verre, — il n’y en avait pas, — mais par la couleur des ronds qu’avait tracés sur la table le fond de cette bouteille, humée à même le goulot. Deux chaises, un seau de zinc bossué et privé de son anse, une cuvette et un pot à eau égueulés, un peigne édenté, un morceau de glace brisée sur le mur complétaient l’ameublement. J’oubliais une dizaine de volumes, rangés sur une planche, avec une apparence de soin. C’était le reliquat suprême d’une éducation que j’ai su depuis avoir été brillante, pour aboutir, à quoi ? à cet alcoolique déjà troublé par la boisson avant même d’avoir quitté sa chambre, et qui fumait une courte pipe de terre, insoucieusement.