Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/81

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Elle avait mis dans ce dernier appel une si farouche énergie d’amour maternel, qu’il en émana cette irrésistible suggestion qui nous descend jusqu’au fond de l’âme pour y arracher l’aveu. L’homme qui pleurait releva la tête, et il dit, mettant dans cette phrase toute sa douleur, mais aussi toute la tendresse dont elle était mélangée maintenant : — « Ma pauvre mère, je viens de la rue du Faubourg-Saint-Jacques… » Elle ne lui répondit rien. Malgré lui, après avoir parlé, il l’avait regardée. Il la vit se reculer, ses vieilles mains se tendre en avant, comme pour écarter quelque chose, et une pâleur envahir son visage, si effrayante qu’il crut qu’elle allait mourir. Le médecin se réveilla dans le fils, et, à son tour, il s’élança vers elle en lui donnant le même nom qu’il lui eût donné vingt ans auparavant, s’il l’eût vue pâlir ainsi : — « Maman !… » — « Laisse-moi, » lui dit-elle, en reculant toujours jusqu’à ce qu’elle fût contre le mur de la chambre. Là, elle se retourna, prit sa tête dans ses mains et s’agenouilla pour prier, longuement. Lorsqu’elle se releva de cette prière, elle avait dans ses yeux, sur son front, autour de sa bouche, une espèce de sérénité dans le désespoir qui contrastait, d’une manière saisissante, avec l’expression de rongement intérieur qui avait tant inquiété son fils depuis des années. — « C’est mieux ainsi ! » gémit-elle avec une étrange exaltation. « Cela m’étouffait depuis trop