Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/84

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mère de Pierre Robert était une proche parente de sa femme, une cousine germaine. Comment M. Haudric s’était-il laissé aller à cette aventure de séduction, lui un si brave homme ? Je l’ai jugé sévèrement alors. Je sais maintenant que j’avais tort et qu’il ne faut condamner personne. Il avait d’autres enfants. Il voulait que ce secret mourût avec lui. Je t’explique ces choses pour que tu comprennes comment nous avons été tentés… Ton père devait surveiller de loin ce garçon. La première année, nous servîmes la pension, comme nous devions, et nous sûmes qu’il avait vécu au quartier Latin avec des filles, courant de café en café, sans suivre aucun cours ni travailler d’un travail quelconque. Il buvait déjà, à dix-neuf ans ! La seconde année, nous servîmes encore la pension, il fit de même, et pis encore : ton père prit des renseignements et nous sûmes qu’il avait contracté de grosses dettes. La troisième année… » Elle s’arrêta une seconde, et, avec la ferveur de quelqu’un qui consomme son sacrifice… « La troisième année, c’était celle où tu devais faire ton service militaire. Il fallait payer quinze cents francs, pour que tu n’eusses qu’un an à être soldat. Nous ne les avions pas. Nos pauvres petites économies, sept mille francs épargnés sou par sou, avaient été perdues dans un mauvais placement. Tu étais si travailleur. Tu avais eu tant de mérite à devenir ce que tu étais déjà devenu… Qu’est-ce que tu veux ? Nous n’avons pas pu supporter l’idée que tes études fussent interrompues, d’autant plus que ce n’était pas seulement la question du service