Page:Bourget - Ernest Renan, 1883.djvu/11

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causerie qui fait son charme incomparable, — tour à tour ironique et enthousiaste, évoquant, comme il sait le faire, du profond de l’histoire, les figures touchantes ou grandioses des martyrs et des saints, ou bien projetant sur l’obscurité de notre horizon philosophique et social quelques-unes de ces hypothèses étrangement séduisantes dont foisonnent ses ouvrages de fantaisie. Je l’ai vu retiré dans le silence de son cabinet de travail, accoudé sur le bureau où il a écrit tant de pages exquises, et parmi ses livres — les amis de ces heures studieuses et les complices de sa gloire. — Mais nulle part je ne l’ai trouvé plus rayonnant d’aise et d’une verve plus éveillée qu’à cette modeste table du petit hôtel d’à côté la gare Montparnasse, où j’étais son voisin par invitation, moi indigne — tandis que les jeunes gens auprès de lui chantaient le couronnement de la reine Anne, et que ses yeux bleus de Celte, fier de sa race, s’éclairaient d’une flamme. — Il y avait quelque chose d’infiniment rassérénant pour la pensée au spectacle de cet écrivain d’une si éclatante renommée, à ce point touché de la respectueuse sympathie dont l’entouraient ses compatriotes, et aussi simple dans son abord