Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/109

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le jeune homme.« J’en serai quitte pour vous la confier. Elle sera mise au bouton, comme on disait autrefois[1], en huit jours… » Et, voyant Hilda chercher, dans la poche de la jaquette, du sucre pour le cheval, il lui en demanda familièrement un morceau. L’ayant brisé, il le distribua aux deux terriers. Le bruit des mâchoires broyant la friandise remplaça aussitôt l’aboiement. La moue du cousin s’éclaira de même. Il esquissa une espèce de rictus, d’une amertume dégoûtée ; tandis que, continuant à tenir son rôle d’acheteur, Maligny se retournait vers miss Campbell pour lui dire, comme s’ils n’eussent parlé, dans leur tête-à-tête, que de cette acquisition possible :

— « Je reviendrai donc demain matin, mademoiselle, puisque monsieur votre père n’est pas là… »

Sur cette phrase, qui faisait, de son interlocutrice décontenancée, la complice forcée d’une légère fourberie vis-à-vis du cousin trop perspicace, il prit congé. À quoi bon préciser, par des commentaires, le pacte d’amitié qu’il venait de passer avec elle et qui lui permettait de gagner du temps ? Et il se disait, quand il se retrouva sur le trottoir de la rue de Pomereu :

— « Si cette petite est une comédienne, elle est rudement forte. Vous n’êtes pourtant pas une poire, monsieur de Maligny. » Cette argotique métaphore traduisait la réaction que sa précoce expérience essayait en lui déjà contre l’accès de griserie sentimentale auquel il s’était abandonné. « Bah ! », se répondit-il, « poire ou non, qu’est-ce que je risque ? Si je perds ma peine à tourner autour d’elle, personne n’en saura rien. Et elle a bien l’air d’être sincère !…

  1. Terme de l’ancien manège. M. le général J.-B. Dumas écrivait à l’auteur à propos de cette expression : « Nous avons vu disparaître en 1886 ou 7 environ dans l’armée le coulant, le bouton et le fouet de cuir souple qui terminait les rênes de bride. C’était un reste du premier Empire. »