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Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/120

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imposé. Il ne s’avouait pas qu’au fond, très au fond, sa fatuité éprouvait un assez vilain, mais trop naturel sentiment de revanche, à l’idée que leur attitude vis-à-vis l’un de l’autre prêtait à une équivoque. Il se fût, certes, indigné — car il avait de l’honneur — que l’un de ses camarades vînt lui dire, avec la délicatesse d’expression dont la jeunesse dorée de cette aube de siècle était déjà coutumière : — « Hein ! La petite Campbell ? Ça y est, mon Julot, et dans les grands prix… » Mais il n’était pas mécontent de deviner que les gens pensaient ainsi — dernière mesquinerie de vanité masculine qui ne l’empêchait pas d’être absolument sincère dans son abandon à l’attrait de ce qu’il dénommait, tout bas et pour lui seul, son « flirt équestre. » Ce flirt ne consistait, pourtant, qu’en privautés d’un ordre bien idéal : écouter Hilda qui racontait indéfiniment les détails de son enfance et de sa première jeunesse, — et répondre, lui, par d’autres détails, plus ou moins romancés, sur sa propre enfance et sa vie actuelle ; — discuter sur des sujets aussi disparates que ceux-ci : la comparaison entre l’Eglise anglaise et le catholicisme, — entre la cuisine d’outre-Manche et celle de Paris, — entre le mariage là-bas et le mariage chez nous, — entre les étoffes des tailleurs de Londres et des tailleurs de Paris, — entre la reine Victoria et le président Loubet, — entre les romans de la collection Tauchnitz et ceux qui s’étalent aux devantures de nos gares, — entre les cuirs des selleries britanniques et ceux de nos harnais, — entre leurs races de chiens et nos races à nous !… La conversation de la pauvre Hilda n’avait rien de commun avec celle de ces gavrochines du monde, du demi-monde ou du quart de monde, qui ont instinctivement, en pensant, tout haut, l’esprit mordant d’un Forain ou la fantaisie d’un Donnay. En véritable