Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/152

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Corbin, maman, — en voilà trois, et bien authentiques… Maman, ce n’est pas étonnant. Elle a de qui tenir… Mais Hilda ? Mais Corbin ?… Hé bien ! pour une fois, je me conduirai en preux… » C’était le mot dont ses petits amis du faubourg Saint-Germain et lui se servaient pour désigner les parents à grands principes qu’ils avaient dans les nécropoles des environs de Sainte-Clotilde. Ces jeunes seigneurs prenaient, pour le prononcer, un air indéfinissable, tout mêlé d’ironie et d’orgueil, comme il convient à des Parisiens, trop avisés pour ne pas se vouloir ultra-modernes ; mais étant titrés, ils se blasonnent même des préjugés dont ils se moquent… Cependant, la mère avait relevé la tête. Elle avait aperçu son fils et elle lui souriait, avec son vieux visage tout passé, tout fané, tout ridé, qu’éclairaient deux yeux restés candides, comme si, n’ayant jamais regardé les vilenies du monde qu’à travers des larmes, ces larmes les avaient préservés, de toutes les souillures.

— « Ton ami est parti ?… » demanda-t-elle. « Pourquoi ne l’as-tu pas amené dans le jardin ? Il t’aurait fait là sa visite. Et, moi, il ne m’aurait pas gênée… »

— « Ce n’était pas précisément un ami, » répondit Jules. « C’est quelqu’un que je rencontre au Bois et à qui l’on avait dit que je voulais vendre Galopin… » Comme on voit, sa généreuse résolution de « se conduire en preux » ne prévalait pas, chez lui, contre la dangereuse fertilité d’imagination qu’il tenait de ses aïeux, les fabulistes de Lithuanie, — pour reprendre l’euphémisme de l’indulgent Gœthe. — Cette fable-là venait de pousser dans la tête du jeune homme, et une seconde fable allait aussitôt se greffer sur la première, le tout pour arriver à l’annonce d’un voyage possible. Il s’était soudain rappelé avoir reçu,