Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/186

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qualité de ses bêtes. — Est-il besoin d’ajouter que, de la périlleuse idylle ébauchée, au printemps dernier, entre sa fille et Jules de Maligny, il ne s’est jamais douté, et pas davantage de la tragédie sentimentale qui se joue, depuis lors, dans le cœur de cette fille ? Elle est là aussi, la pauvre Hilda, qui n’est pas devenue comtesse de Maligny. Elle est là, simple miss Campbell comme devant, toujours habillée de ce costume d’amazone, l’uniforme de son métier, essayant des chevaux depuis huit heures du matin jusqu’à cinq ou six heures du soir, comme autrefois, tantôt dans la rue de Pomereu, sous l’œil des acheteurs et des acheteuses, tantôt dans les allées voisines du Bois. Mais où sont les roses de son teint de fleur, où les éclairs gais de ses yeux bleus, où les sourires naïfs de sa bouche enfantine ? C’est maintenant qu’elle est devenue la sœur trop ressemblante de l’Amy du Locksley-Hall de Tennyson : « Alors, sa joue était pâle et plus mince qu’elle n’aurait dû être pour une si jeune… »Quelle mélancolie le père lirait au fond de ces prunelles songeuses, s’il s’entendait à déchiffrer une physionomie de femme comme il déchiffre une face chevaline ! Dans certaines allées du Bois de Boulogne, à présent, l’écuyère ne passe plus jamais que si la nécessité l’y contraint, — le sentier, par exemple, qui longe le Tir aux Pigeons et qu’elle a suivi, tant de fois, avec celui dont elle ne veut plus prononcer le nom. Que ne peut-elle ne plus le revoir en pensée, avec sa grâce câline, ses gestes si différents de ceux des autres, l’ardeur contenue de ses regards !… Et puis, cette trahison, ce manquement à la plus élémentaire probité du cœur… Mais il s’agit bien de probité ! Tout Anglaise qu’elle est, ce qui torture le cœur de la fiancée abandonnée, — et quand, et comment ! — ce n’est pas ce breach of promise que ses petites compatriotes font apprécier par les juges,