Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/212

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raconte que cette autre femme, cette Mme Tournade, en est folle aussi, et qu’elle l’aurait déjà épousé : mais il a demandé qu’elle lui reconnût une très grosse somme d’argent dans le contrat, trop grosse. Cette femme hésite. Elle comprend bien que, le jour où il aura cette fortune indépendante à lui, il sera un très mauvais mari. L’affaire en est là… »

Tandis qu’il énonçait ces médisances pêle-mêle, et ces calomnies, — car on devine que la bienveillance d’une Mme Mosé et d’un Candale, jointe à celle qui caractérise les « gens de maison », constitue une source d’information singulièrement trouble, — le brave Corbin avait à peu près la mine d’un apprenti chirurgien à sa première amputation. Il a beau avoir étudié son anatomie. Sur le point d’inciser la peau, de couper les muscles et d’attaquer l’os, le couteau et la scie tremblent dans sa main novice. Il sait, cependant, qu’il faut opérer. Il enfonce donc le bistouri, en pâlissant, même quand il travaille à l’hôpital et sur la chair d’un malade inconnu. Que serait-ce s’il s’agissait d’un être qui lui tînt au cœur par les fibres les plus profondes, les plus vives, une fille, une sœur, une épouse ? Corbin se croyait très assuré, certes, que cette révélation serait salutaire à la fiancée trahie. Il n’avait aucun doute — est-il nécessaire de l’ajouter ? — sur le bien-fondé de ses renseignements. Qu’il y ajoutât foi avec complaisance parce qu’ils satisfaisaient sa haine pour Jules de Maligny et qu’ils servaient son amour pour sa cousine, c’était trop évident. Il n’en était pas moins sincère. Aussi, demeura-t-il atterré quand, après l’avoir écouté sans l’interrompre d’un seul mot, Hilda s’arrêta tout d’un coup devant lui. Ils étaient revenus sur le pas de la porte. Là, le regardant en face, rouge d’une indignation qui frémissait dans sa voix et qui éclatait dans ses yeux, elle lui répondit :