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Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/219

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une demi-heure plus tard. « C’est une chance !… » Elle avait fait seller le nouveau et peu commode cheval, en effet, et elle était repartie toute seule, à travers les rues, du côté de ce bois de Boulogne, dans les méandres duquel nous l’avons déjà suivie si souvent. « Cher père ! Il faut qu’il ne s’aperçoive de rien… C’est, maintenant, tout ce qui me reste au monde, sa paix. C’est toute ma raison de vivre… À cause de lui, je serai avec Jack comme j’ai été toujours. Mais jamais, jamais, je ne pardonnerai à ce misérable… Lui, mon cousin, qui sait combien j’ai aimé Jules, s’il avait eu pour moi le moindre ménagement, est-ce qu’il n’aurait pas tout fait par me cacher cette affreuse vérité ?… Mamma l’aimait tant ! Elle a été si bonne pour lui ! Ce sera ton frère, me disait-elle. Il a suffi que je lui préférasse Jules. Il est devenu jaloux et il s’est vengé… Pourtant, même jaloux, il est incapable d’avoir inventé une calomnie. Je n’ai pas le droit de lui faire cette injure. Ce qu’il m’a dit, il l’a vu. Ce qu’il m’a rapporté, il l’a entendu. Jules fait la cour à ces deux femmes. Est-ce possible ? Il veut en épouser une… Mon Dieu ! Est-ce possible ? Est-ce possible ?… »

Alors seulement, et quand elle se fut répété ces mots, à plusieurs reprises, la crise aiguë de souffrance qui l’avait comme contractée en lui arrachant ce cri de colère contre son cousin, puis en la précipitant hors de sa chambre, hors de la maison, se détendit en un accès de larmes. Elle pleura, comme tant d’autres fois, le visage fouetté par le vent d’une course folle, qui collait sa voilette mouillée contre ses joues. Elle poussait son cheval droit devant elle dans les allées les plus solitaires, où l’or et la pourpre de l’automne commençaient à colorer de leurs chaudes teintes les arbres encore feuillus. Les autres fois, quand ces accès la prenaient ainsi, leur cause était