Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/239

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de maîtres le partageaient. Leurs propos auraient constitué, s’ils avaient pu être enregistrés, le plus authentique certificat d’honnêteté commerciale pour le maquignon anglais. C’était la preuve qu’il ne pactisait pas avec la vaste camarilla qui exploite, à Paris, le budget d’écurie des gens riches. Mais, pour être un exploiteur effronté, quand on est un fin cocher (c’était le cas du susdit Gaultier), on aime les chevaux autant que l’argent. La noble hippomanie luttait, dans son cœur, contre le sordide appétit du gain, tandis qu’il se tenait ainsi, debout et impassible, dans la cour de la rue de Pomereu. Son mufle presque bleu, à cause de l’épaisseur de la barbe rasée de très près, exprimait le dégoût, et ses petits yeux bruns, qui faisaient deux taches couleur de café sur son teint de brique, s’allumaient à considérer les naseaux, les oreilles, les fronts, les chanfreins, les encolures des prétendues carnes. Il était follement comique d’incertitude, partagé entre le désir que sa patronne quittât au plus tôt cet antre de perdition et une envie non moins violente de faire connaissance avec tous les garrots, toutes les croupes, toutes les jambes ! Et il écoutait, sans oser interrompre, — on ne retrouve pas souvent des places comme la sienne, — Mme Tournade dire à Hilda, enfin parue :

— « J’ai tenu à vous voir vous-même, mademoiselle, parce que vous dressez pour dames les chevaux de monsieur votre père. J’ai l’intention de chasser cette année. Il me faudrait deux bêtes très sûres… Pouvez-vous me procurer cela ? »

— « On va vous montrer ce que nous avons, madame, » répondit la jeune fille, avec autant d’indifférence polie que si elle n’eût pas eu, devant elle, la future épouse, peut-être, de celui qu’elle aimait. De rencontrer le regard de Mme Tournade fixé sur elle avec une expression de curiosité presque outrageante