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Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/259

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à quelqu’un, c’est forcément modifier, dans l’image que l’on en garde, tel ou tel trait de caractère. C’est effacer tantôt une qualité, tantôt un défaut, ou, au contraire, les accentuer. Ainsi s’expliquent les troubles que nous subissons à revoir, après un long temps, même des personnes qui n’ont pas cessé de garder contact avec nous, par des lettres ou par de communs amis. Nécessairement, alors, ou bien l’affection réciproque dissipe le malaise, ou bien ce malaise diminue l’affection. On refait connaissance, comme dit le langage familier. Sinon, chaque parole, chaque geste aggrave encore cette première impression d’un élément inconnu. Hilda Campbell et Jules de Maligny ne s’étaient pas revus depuis un quart d’heure, qu’ils n’avaient plus besoin de se dominer pour ne pas faire d’allusion à leur commun passé. Voici les deux petits discours qui se prononçaient intérieurement, chez lui et chez elle, tandis qu’un par un, le gros Bob faisait sortir de leurs box les mêmes chevaux qui avaient défilé, la veille, devant Mme Tournade. Cette fois, c’était Corbin qui les montait. Le passionné garçon n’avait pas pu prendre sur lui de répondre au courtois bonjour que lui adressait le faux client, mais incapable de manquer à la parole donnée, il n’avait pas protesté contre cette présentation, qui continuait le mensonge fait au père abusé. Tout en le regardant caracoler sur le pavé de la petite rue, comme c’était l’usage, Maligny se disait :

— « Décidément, le cousin et la cousine s’entendent très bien, — trop bien… S’ils ne s’entendaient pas, quand tout à l’heure Campbell a dit à Corbin : « Monsieur le comte est venu voir le cheval dont vous lui avez parlé, » le Corbin aurait protesté. Or, il n’a rien répondu. Qu’est-ce que cela prouve ?… Qu’il était au courant de la lettre écrite par son oncle.