Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/302

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

coup sur coup, depuis qu’elle avait reçu cette funeste lettre anonyme, glissée là, dans la petite poche de sa jaquette. Elle avait emporté l’infâme billet sur elle avec l’idée tour à tour de le montrer à son père — et à Maligny. On sait quel scrupule l’avait empêchée de parler à l’un. On devine quelle pudeur l’avait retenue vis-à-vis de l’autre. Elle touchait, par moment, l’enveloppe de sa main et la faisait craquer, comme pour se prouver de nouveau la réalité d’une dénonciation que les incidents de ce début de chasse corroboraient d’une manière cruellement significative. Quand elle eut vu Jules disparaître après ce double entretien, d’abord avec Mme Tournade, puis avec miss Campbell, et le cousin de celle-ci s’expliquer sur un ton si évidemment passionné, le besoin d’apprendre quelque chose de plus positif fut le plus fort.

— « Comment trouvez-vous le cheval que monte cette miss Campbell ? »avait-elle demandé à son père.

— « C’est une très belle bête, » répondit d’Albiac. « Mais si on la traite souvent comme aujourd’hui, elle sera bientôt claquée. »

— « J’en aurais bien envie, » reprit Louise, « Ma jument commence à être fatiguée. Elle n’est guère amusante, au lieu que ce cheval-ci… »

— « Tu en aurais envie ? » fit le père. « Hé bien ! il faut d’abord savoir s’il est vendu ou non à cette Mme Tournade, qui n’en a pas paru très satisfaite, entre nous… Ce n’est pas une raison… Je vais le demander… »

Et d’Albiac avait poussé sa propre monture en avant, suivi de la jeune fille, toute troublée du succès immédiat de sa ruse. Qu’allait-elle dire à cette étrangère, vers laquelle sa jalousie lui faisait faire ainsi les premiers pas ? Cette démarche, si ingénieusement suggérée, ne tromperait certes pas celle qui en était