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Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/306

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un prétexte, tout à l’heure, pour avoir avec vous une explication, si en dehors de toutes les habitudes, si folle, qu’elle me fait peur… J’ai une excuse, cependant, du moins auprès de vous. Je crois qu’en provoquant cette explication, je vous rendrai un service… Hier, » acheva-t-elle en baissant la voix, « j’ai reçu une lettre anonyme sur vous, miss Campbell. »

— « Sur moi ? » fit Hilda, « Une lettre anonyme ? Ah ! », gémit-elle, « c’est de cette abominable femme… »

Aucun nom propre n’avait échappé à ses belles lèvres frémissantes et, cependant, l’entretien allait se poursuivre comme si ces syllabes, détestables pour l’une et pour l’autre : « Madame Tournade », avaient été jetées distinctement aux échos de la forêt. À de certains moments, la vérité a comme une force impérative devant laquelle les plus sages prudences ploient et les plus simples convenances, toutes les timidités et tous les scrupules. Qu’une jeune fille du monde, comme Mlle d’Albiac, ne défendît pas à tout prix le secret le plus intime de son cœur contre la curiosité d’une autre jeune fille dont elle ne savait rien, sinon son excentrique métier et qu’elle avait peut-être un mystère coupable dans sa vie, cela tenait du prodige. Louise elle-même devait bien souvent se demander, plus tard, quelle suggestion, aussi impulsive que celle du somnambulisme, lui avait aussitôt arraché cette réponse, implicite aveu de la tragédie intérieure qui la bouleversait :

— « Moi aussi, j’ai pensé que c’était cette femme. Mais comment a-t-elle eu l’idée de l’écrire, si… » Elle allait ajouter : « S’il n’y a jamais rien eu entre cet homme et vous ?… » Elle s’arrêta devant la brutalité d’une pareille phrase, et, avec une rougeur à ses joues, pareille à celle qui envahissait le