Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/38

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père lui faisait un peu jouer le rôle du « mannequin » dans les grandes maisons de couture. Qui ne sait que l’on appelle ainsi les jolies filles chargées de passer les robes qui doivent servir de modèles et de les promener devant les riches clientes ? Elles n’ont pas deux louis, quelquefois, dans leur porte-monnaie, et elles se pavanent des après-midi entières dans des toilettes de trois, de quatre, de dix mille francs. Hilda, elle aussi, devait, le plus souvent, « présenter » à l’heure la plus élégante, quelque animal d’un grand prix, pour tenter le client ou la cliente. D’autres fois, quand le cheval n’était pas encore suffisamment fait, qu’il était trop « vert », — pour parler le langage de Bob Campbell et de Jack Corbin, — il lui était recommandé d’éviter, aux heures trop fashionables, les avenues trop fréquentées, où les acheteurs possibles auraient vu l’animal pointer, ruer, faire des tête-à-queue trop brusques ou des sauts de mouton. C’était le cas, ce matin-ci, quoique le Rhin fût parfaitement sage, mais il n’était pas confirmé. Hilda allait donc, jouissant de sa solitude avec délice. Tantôt, elle ralentissait le train de la bête ; pour jouir des lointains aperçus à travers les fûts encore dénudés des arbres : la vaste pelouse de Longchamp, la silhouette du mont Valérien. Des vapeurs transparentes flottaient partout dans l’atmosphère, numide, comme bleutée, qui donnait, à ce coin perdu d’horizon, des teintes délavées d’aquarelles. Tantôt, c’étaient des détails plus rapprochés qui distrayaient son regard : une biche s’arrêtant au milieu d’un fourré pour laisser passer l’amazone, — un cocher en train de promener un cheval de voiture, coiffé d’un camail, et devenu soudain rétif, — un oiseau posé sur une branche et tournant de tous côtés sa mignonne tête, avec la curiosité d’une jeune vie encore animée par le rajeunissement universel