Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/41

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affaire à un désespéré. La face hâve de l’agresseur, ses petits yeux jaunes, où la férocité de la faim allumait une sombre flamme, la misère haillonneuse des loques dont il était vêtu, sa barbe hirsute, ses cheveux grisonnants sous un chapeau verdâtre à force d’usure : tout dénonçait, chez le malheureux, un de ces redoutables rôdeurs dont l’audace ne recule pas devant le meurtre. Son âge — il paraissait avoir cinquante ans — augmentait encore l’implacabilité de son geste et de sa parole. Sous l’horrible étreinte de ces mains noires qui la meurtrissaient, la courageuse fille eut cependant la force de crier, par trois fois :

— « Au secours !… Au secours !… Au secours !… »

— « Tu l’auras voulu, » glapit l’homme. Et il leva son couteau… Puis, comme si la jeunesse de l’écuyère émouvait en lui une vague de pitié, il ne frappa point. Il dit, en serrant le cou d’Hilda davantage, pour étouffer ses cris, en même temps que, du genou, il lui écrasait la poitrine : « Ce que je veux, moi, c’est de l’argent… de quoi manger… Donne ton porte-monnaie et tes bijoux, ça, par exemple… » Et il arrachait, du poignet d’Hilda, un petit bracelet à gourmette où se trouvait une montre. « Ça encore. » Et il déchira le haut du corsage, pour agripper une broche en rubis et en roses, qui représentait un fer à cheval traversé d’un fouet… « Au porte-monnaie, maintenant !… Il me faut le porte-monnaie… On ne se promène pas sur des bêtes pareilles sans avoir la poche bien garnie… Allons, le porte-monnaie. Le pognon, la gosse, ou je te zigouille… Je ne suis f… pas trop méchant. Tu le vois bien. C’aurait été fait tout de suite, si j’avais voulu… Ouste, crache au bassin, la Jacqueline… Le porte-monnaie, et je te laisse… »

Il avait desserré un peu ses doigts. Il jugeait sans doute, que la jeune fille, affolée et se voyant une