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Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/53

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surveiller la porte cinq minutes — c’était le temps qu’il fallait à la jeune femme pour y arriver au pas. — Ces cinq minutes écoulées, si elle n’avait pas paru, il gagnerait la Porte-Dauphine, en coupant au plus court de toute la vitesse de sa bête, et il attendrait là, de nouveau.

— « Mais qui peut-elle être ?… » se disait-il en exécutant la première partie de ce programme, puis la seconde. « Voilà ce que c’est que de jouer trop cher et d’être emmené loin de Paris tout l’hiver, par une maman inquiète !… » Jules, en effet, avait dû, au mois d’octobre précédent, avouer de très grosses pertes au baccara. Sa mère avait mis, pour condition au règlement de cette dette, que son fils passerait l’hiver avec elle à La Capite, une grande terre qu’ils possédaient en Provence, à mi-chemin entre Hyères et Saint-Tropez. Mme de Maligny était veuve. Elle adorait son enfant unique, ce garçon généreux intelligent, charmant, qu’elle avait follement gâté, — on saura, tout à l’heure, pourquoi, — mais les légèretés de ce caractère l’inquiétaient, maintenant, jusqu’à la torture. Le sang des Maligny, de ces Parisiens à moitié Slaves, lui était connu par une triste expérience : son défunt mari l’avait à moitié ruinée. Elle avait donc imaginé ce moyen d’enlever Jules plusieurs mois aux tentations de Paris. Par la même occasion, elle surveillerait d’un peu plus près une exploitation d’où dépendait le meilleur de leurs revenus. Ils étaient rentrés rue de Monsieur, dans le vieil hôtel familial, depuis trois semaines, et le jeune homme, qui s’était parfaitement amusé dans cet exil rustique, — il s’amusait toujours, et de tout, et partout, — commençait, malgré de solennelles promesses, à respirer avec gourmandise les effluves retrouvés du boulevard et des Champs-Elysées. « Je ne connais plus, » continuait-il, « les nouvelles recrues du bataillon