Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/162

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cruauté eût causé moins de ravages. En attendant, nous nous félicitons de nos hypocrisies ainsi que d’une délicatesse, comme Francis le fit lorsque Henriette et la comtesse l’eurent déposé, suivant le programme, sous le porche d’un vieux palais jadis construit par un lieutenant de Pierre d’Aragon et sur le fronton duquel flamboyaient les mots de Crédit Sicilien Oriental. Il leur dit l’au revoir le plus naturel en descendant du landau. Il vit la voiture disparaître à l’angle de la place, un dernier retournement de la tête blonde d’Henriette, un sourire d’adieu sur ce doux visage, et déjà, il hélait une victoria qui passait, il donnait le nom du Continental au cocher et il lui recommandait de presser son cheval. Huit minutes d’une course à fond de train, et il était dans le vestibule de l’hôtel, il traversait le salon commun, il débouchait dans le jardin. Son cœur n’eût pas battu plus vite s’il eût marché, dans un duel, au-devant d’un canon de pistolet braqué sur lui.

Le petit jardin de l’Hôtel Continental justifiait la moquerie que Francis en avait faite la veille, par un bizarre mélange de nature méridionale et d’anglomanie où se révélaient les originales prétentions de l’hôtelier. Ancien révolutionnaire et obligé de s’exiler à Malte en 49, puis jusqu’en Angleterre, cet homme en était revenu possédé de cette folie britannique qui revêtait en lui