Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/34

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ne faisait pas un geste, ne disait pas un mot qui ne trahît la plus jolie délicatesse de nature. Mme Scilly en jouissait avec ce mélange de délices et de souci dont est faite la félicité douloureuse des mères. Elles les savent si comptés, les jours où elles ont leur enfant auprès d’elles, tout à elles. Tandis qu’Henriette s’occupait paisiblement au travail de ses leçons, celle-ci avait pris l’habitude de mesurer la fuite de ces douces années au verdoiement ou au jaunissement des arbres du jardin de l’archevêché, aperçus par les hautes fenêtres des chambres du premier étage. Tantôt ces arbres frémissaient au renouveau, secouant au vent d’avril des grappes de fleurs, et la mère calculait combien de printemps reviendraient encore avant que sa fille eût ses dix-neuf ans. D’autres fois, le vent chassait le long des allées les débris épars de l’automne, et elle comptait les saisons écoulées depuis que le père était mort. Elle se perdait devant la petite dans des contemplations infinies, charmée tout ensemble et troublée par l’accroissement de sa taille, par la métamorphose de l’enfant en jeune fille, de la jeune fille presque en jeune femme, admirant sa grâce, son esprit, sa bonté, respirant tous les parfums de cette adorable et virginale fleur qu’elle seule connaissait, et elle prévoyait, avec une anxiété si généreusement préparée cependant au sacrifice, le moment où il lui faudrait se séparer d’elle.