Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/406

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l’homme qu’il rêvait, qu’il souhaitait de devenir, et l’homme qu’il avait été ? Il n’avait eu devant lui que ses propres actions, incarnées d’une part dans la femme dont il avait été l’amant et dans la fille d’autre part qui était née de leur liaison. Et cette femme n’avait pas poursuivi un plan de vengeance, cette fille ignorait qu’il fût son père. Elles avaient paru, et leur présence avait suffi pour que les actions d’autrefois, et dont il s’était cru à jamais dégagé, se dressassent aussi devant lui… C’est donc vrai que l’on ne refait pas sa vie ? C’est donc vrai que notre passé nous poursuit sans cesse dans notre avenir ? Est-on coupable cependant, lorsqu’on s’est tant condamné soi-même, tant débattu contre la souillure intérieure, oui, est-on coupable de désirer se rajeunir en rencontrant dans un être pur et simple, précisément ce que l’on n’a plus, ce que l’on n’aura jamais plus en soi ? Quels sont les hommes qui arrivent au mariage, ayant vécu de manière à ne pas rougir devant leur fiancée si elle est ce qu’était Henriette, vraiment une fiancée, l’être à qui l’on peut dire du fond de son cœur : « C’est toi que je cherchais à travers mes égarements ?… » Dans ces méditations d’une sincérité égale à celle qu’il aurait eue devant la mort, Francis se rendait compte qu’il n’avait pas le droit de se comparer à ces autres hommes. Les anomalies de ses fiançailles lui étaient aussi claires maintenant qu’elles