Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/53

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un de ces accidents terribles : déraillement de chemin de fer, tremblement de terre, effondrement d’une maison, dont la survenance en pleine sécurité est d’autant plus effrayante qu’elle est plus subite. En entrant sous la voûte de l’hôtel, Francis Nayrac vit que le concierge était en train de classer les lettres arrivées par le bateau du matin. Cet homme, un gigantesque Allemand, à longue barbe blonde, méticuleux et polyglotte, vêtu d’une somptueuse livrée et coiffé d’une large casquette flamboyante d’or, maniait les enveloppes comme un joueur manie les cartes, avec une dextérité de prestidigitateur. Son crayon rouge griffonnait sur chacune le numéro de la chambre du destinataire, et plusieurs personnes se tenaient autour de lui, attendant qu’il eût fini cette besogne, avec cette avidité inquiète et presque maladive de correspondance qui distingue particulièrement les bureaux de poste dans les îles où la rareté des courriers en exalte le désir. Toutes les figures de ce petit tableautin cosmopolite auquel il était pourtant très habitué, que de fois Francis les revit depuis, associées qu’elles étaient au coup de surprise qui le frappa dans cet instant-là ! Au lieu de monter droit dans sa chambre, il s’arrêta machinalement pour attendre lui-même ses lettres, et, non moins machinalement, il se mit à parcourir des yeux la pancarte où se trouvaient affichés les noms des voyageurs