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Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/73

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que de prendre un ombrage pour de pareilles misères était insensé, il s’était senti absurdement, injustement, enfantinement jaloux en effet, jaloux à vide, et sans raison distincte, de ce monde avec lequel il la partageait. Que la route est rapide d’une défiance de cet ordre à d’autres plus précises, et qu’il faut peu de temps pour transformer dans un cœur inquiet la vague souffrance d’un mécontentement sans objet en une douleur positive, la peur d’une déception en une sécheresse, cette sécheresse elle-même en un injurieux soupçon ! Francis se rappelait si bien comme il avait lutté contre son propre orgueil pour ne pas se livrer, dans les semaines suivantes, à une tentation continue, celle d’une déshonorante enquête sur les personnes qui formaient la société de Pauline. Puis il y avait cédé, lui posant tantôt une question, tantôt une autre : — « Où avait-elle dîné et avec qui ?… — Quelles visites avait-elle faites et qui avait-elle rencontré ?… » Aujourd’hui qu’il n’était plus brûlé de cette honteuse fièvre, il rougissait encore de cette inquisition douloureuse et timide, par laquelle il avait peu à peu envenimé une plaie d’abord si légère, jusqu’à l’instant où l’inévitable conflit avait éclaté entre eux. Quoique cette scène n’eût pas duré plus de quelques instants, avec quelle netteté il se la rappelait ! Comme un tournant de route change soudain tout le paysage, il se rendait