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LE DISCIPLE

de 71 eût tout réglé pour toujours… Que je voudrais savoir si tu penses comme nous ! Que je voudrais être sûr que tu n’es pas prêt à renoncer à ce qui fut le rêve secret, l’espérance consolatrice de chacun de nous, même de ceux qui n’en ont jamais parlé ! Mais non, j’en suis sûr, et que tu te sens triste quand tu passes devant l’Arc où les autres ont passé, même si c’est avec un ami, et par les beaux soirs d’été. Tu quitterais tout, gaiement, pour aller là-bas, — si, demain, il le fallait. J’en suis sûr encore. Mais ce n’est pas assez de savoir mourir. Es-tu décidé à savoir vivre ? Lorsque tu le vois, cet Arc de triomphe, et que tu te souviens de l’épopée de la Grande Armée, regrettes-tu de n’avoir pas dans tes cheveux le souffle héroïque des conscrits d’alors ? Quand tu te souviens de la Restauration et des luttes du Romantisme, éprouves-tu la nostalgie de n’avoir pas, comme ceux d’Hernani, un grand drapeau littéraire à défendre ? Sens-tu, quand tu rencontres un des maîtres d’aujourd’hui, un Dumas, un Taine, un Leconte de Lisle, une émotion à penser que tu as là devant toi un des dépositaires du génie de la race ? Quand tu lis des livres, comme ceux que nous devons écrire lorsqu’il nous faut peindre les coupables passions et leur martyre, souhaites-tu d’aimer mieux que n’ont aimé les auteurs de ces livres ? As-tu de l’idéal, enfin, plus d’idéal que nous ; de la foi, plus de foi que nous ; de l’espérance, plus d’espérance que nous ? — Si c’est oui, donne-moi la main, et laisse-moi te dire : merci. — Si c’est non ?…