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LE DISCIPLE

tion. Ma mère, à qui ce démon-là est aussi étranger que la bête de l’Apocalypse, ne resta pas longtemps, sitôt les premières heures de notre découragement passées, sans fureter dans la pièce où je travaillais à mes devoirs ; et, par-dessous un thème commencé, elle découvrit un grand volume ouvert : c’était l’Ivanhoë de Scott.

— « Qu’est-ce que c’est que ce livre ? » demanda-t-elle ; « qui t’a permis de le prendre ?… »

— « Mais je l’ai déjà lu une fois, » répondis-je.

— « Et ceux-là ?… » continua-t-elle en inspectant la petite bibliothèque qui, à côté de mes bouquins d’écolier, enfermait, outre le Shakespeare, les Nouvelles genevoises et Nicolas Nickleby, Rob-Roy et la Mare au Diable. « Ce n’est pas de ton âge, » insista-t-elle, « et tu vas me faire le plaisir d’emporter tous ces livres avec moi dans le salon, pour les enfermer dans la bibliothèque de ton père. »

Je me vois encore transbordant, trois par trois, les volumes, dont quelques-uns étaient très lourds pour mes petits bras, dans la froide pièce garnie de housses qui donnait sur le balcon, — cette pièce où j’avais entendu ma mère, pas beaucoup de jours auparavant, juger si sévèrement mon cœur. De ses doigts qui sortaient tout blancs de leurs mitaines noires, elle prenait les volumes, les rangeait à côté des gros traités de mathématiques. Elle ferma la porte vitrée du meuble et en détacha