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LE DISCIPLE

vert un bizarre péché de respect humain. J’avais, six semaines auparavant, entendu deux de mes camarades bafouer, à la porte du lycée, une vieille dame qui entrait dans l’église des Carmes, juste en face. J’avais ri de leurs propos au lieu de les relever. La vieille dame allait à la messe ; s’en moquer, c’était donc se moquer d’une action pieuse. J’avais ri, pourquoi ? par fausse honte de protester contre ce scandale. Donc j’y avais participé. N’était-il pas de mon devoir d’aller trouver les deux moqueurs et de leur rappeler leur impiété, en les engageant à s’en repentir ? Je ne l’avais pas fait. Pourquoi ? Par fausse honte encore ; par respect humain, d’après les définitions mêmes du catéchisme. Je passai toute la nuit qui précéda le grand jour de la première communion à me demander avec agonie si je pourrais rejoindre M. l’abbé Martel, le lendemain, assez à temps pour lui dire ce péché. Je me souviens du sourire avec lequel il tapota ma joue après m’avoir donné l’absolution, pour me calmer. J’entends le ton de sa voix devenue douce et me disant : « Puisses-tu rester toujours pareil !… » Il ne se doutait pas que ce scrupule puéril était le signe d’une réflexion maladivement exagérée, ni que cette réflexion allait m’empoisonner les délices ardemment souhaitées de l’Eucharistie. Je ne m’étais pas contenté, au cours des semaines précédentes, de m’analyser la cons-