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LE DISCIPLE

ancien maître un jeune homme instruit, intelligent, capable d’entretenir Lucien dans ses études pour toute cette année. Il offrait cinq mille francs. M. Limasset pensa très naturellement à moi, et j’acceptai, pour les raisons que je vous ai dites, d’être présenté au marquis comme candidat à cette place. Dans un salon d’un des hôtels qui donnent sur la place de Jaude, je vis un homme assez grand, chauve, avec des yeux d’un gris clair dans une face plaquée de rouge, et qui ne prit même pas la peine de m’examiner. Il parla tout de suite et tout le temps, entremêlant les détails sur sa santé — il était malade imaginaire — aux plus vives critiques contre l’éducation moderne. Je l’entends encore, disant pêle-mêle des phrases qui révélaient de la sorte les diverses facettes de son caractère :

— « Voyons, mon pauvre Limasset, quand viendrez-vous nous voir là-haut ?… Il y a un air excellent. C’est ce qu’il me faut, À Paris, je ne respirais pas assez. On ne respire jamais assez… J’espère, monsieur, » et il se tournait vers moi, « que vous n’êtes point partisan de ces nouvelles méthodes d’enseignement. La Science, toujours la Science ! Et Dieu, messieurs les savants, qu’en faites-vous ?… » Puis revenant à M, Limasset : « De mon temps, de notre temps, je peux dire, il y avait encore partout un sentiment de la hîérarchie et du devoir. On ne négligeait pas absolu-