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LE DISCIPLE

mon livre de notes, avec un commentaire plus ou moins dédaigneux. Mais cette première impression vous fera bien comprendre quelles impressions analogues lui succédèrent, et la crise inattendue, quoique très naturelle, qui en résulta. C’est là une de ces chaînes sous-marines dont vous parlez, et j’en retrouve aujourd’hui tout le détail en jetant la sonde au fond, bien au fond de mon cœur. Sous l’influence de vos livres, mon cher maître, et sous celle de votre exemple, je m’étais intellectualisé de plus en plus. Je croyais, comme je vous l’ai raconté tout à l’heure, avoir renoncé définitivement à cette morbide curiosité des passions qui m’avait fait trouver autrefois de cuisants plaisirs dans mes lectures coupables et jusque dans les dégoûts de ma liaison sensuelle avec Marianne. Nous gardons ainsi en nous-mêmes des portions d’âme que nous avons connues très vivantes, que nous croyons mortes et qui ne sont qu’assoupies. Et voilà que peu à peu, à fréquenter pendant seulement quinze jours cet homme, mon ainé de neuf ou dix ans à peine, et qui était, lui, tout réalité, tout énergie, cette existence de pur spéculatif jadis si sincèrement rêvée commença de me sembler… comment dirai-je ? Inférieure ? Oh ! non, puisque je n’aurais pas consenti, au prix d’un empire, à devenir le comte André, avec son titre, sa fortune, ses supériorités physiques et ses idées. Décolorée ? Non encore. Je n’avais qu’à me souve-