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LE DISCIPLE

pital. Aussi, même dans les belles journées de printemps et quand la foule abonde sous les arbres reverdis de ce parc, asile favori des militaires et des nourrices, la rue Linné demeure calme comme d’habitude, à plus forte raison les rues avoisinantes. S’il se produit dans ce coin isolé de Paris une affluence inusitée, c’est que les portes de l’hospice de la Pitié s’ouvrent aux visiteurs des malades, et alors se prolonge sur les trottoirs un défilé de figures humbles et tristes. Ces pèlerins de misère arrivent munis de friandises destinées au parent qui souffre derrière les vieux murs grisâtres de l’hôpital, et les habitants des rez-de-chaussée, des loges et des magasins ne s’y trompent guère. Ils prennent à peine garde à ces promeneurs de hasard et toute leur attention se réserve pour les passants qui apparaissent tous les jours sur les trottoirs et à la même minute. Il y a ainsi, pour les boutiquiers et les concierges, comme pour le chasseur dans la campagne, des signes précis de l’heure et du temps qu’il fera dans les allées et venues des promeneurs de ce quartier, où résonnent parfois les appels sauvages poussés par quelque bête de la ménagerie voisine : un ara qui crie, un éléphant qui barrit, un aigle qui trompette, un tigre qui miaule. En voyant trottiner, sa vieille serviette en cuir verdi sous le bras, le professeur libre qui grignote un croissant d’un sou acheté en hâte, ces espions du trottoir savent que