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LE DISCIPLE

confidences. Je m’attachai donc, pendant la semaine qui suivit cette promenade, à feindre une mélancolie de plus en plus absorbée, et à la feindre non seulement en présence de Charlotte, mais encore durant les heures où je restais seul avec mon élève, sûr que cet enfant rapportait à sa sœur les impressions de nos tête-à-tête. Vous avez là, mon cher maître, la preuve de l’inutile rouerie que je m’appliquais à déployer. Était-il besoin de mêler ce garçon qui m’était confié à cette triste intrigue, et pourquoi joindre cette ruse aux autres quand Mlle de Jussat ne songeait guère à mettre ma bonne foi en doute, fût-ce une minute ? Mais, par un étrange détour de conscience, je plaçais ma fierté à multiplier les complications du piège. Nous prenions, Lucien et moi, nos leçons dans une vaste pièce décorée du nom de bibliothèque, à cause du rayonnage qui garnissait un pan du mur. Là, derrière les grilles doublées d’une toile verte, s’entassaient d’innombrables volumes reliés en basane, notamment toute la suite de l’Encyclopédie. C’était un héritage du fondateur du château, grand seigneur philosophe, parent et ami de Montlausier, et qui s’était construit cette habitation en pleine montagne afin d’y élever ses deux fils dans la nature et d’après les préceptes de l’Émile. Le portrait de ce gentilhomme libre-penseur, assez médiocre peinture dans le goût de l’époque, avec de la poudre et un sourire à la fois