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LE DISCIPLE

libres de nous parler presque tout le long du jour. Elle apparaissait une première fois le matin, dans la salle à manger où nous prenions le thé, mon élève et moi, et, là, sous le prétexte de déjeuner ensemble, nous causions dans un coin de table, elle avec toute la fraîcheur parfumée de son bain comme respirable autour d’elle, avec ses cheveux tressés dans une lourde natte, et la souplesse de son charmant corps, visible pour moi sous l’étoffe de sa robe à demi ajustée. Ensuite je la voyais dans la bibliothèque, où elle avait toujours quelque motif de venir ; — là elle n’était déjà plus la même, coiffée maintenant, et sa taille prise dans son corsage de jour. Nous nous retrouvions dans le salon, avant le second déjeuner, et encore après ; et elle mettait sa grâce ordinaire à nous servir tous, distribuant le café un peu en hâte pour s’attarder auprès de moi qu’elle servait le dernier, ce qui nous permettait de causer encore dans un angle de fenêtre. Quand le temps le permettait, nous sortions, tous les quatre le plus souvent, la gouvernante, Charlotte, mon élève et moi, dans l’après-midi. Le thé de cinq heures nous réunissait, puis le repas, où j’étais assis près d’elle, puis la soirée, en sorte que nos entretiens, pris et repris à si peu de distance, n’en formaient qu’un seul pour ainsi dire. Je comparais mentalement le phénomène qui se passait chez cette jeune fille à celui que j’avais déjà observé à plusieurs reprises