Page:Bourget - Le Disciple.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
236
LE DISCIPLE

noire. Une honnête fille et un joueur heureux ont juste autant de mérite.

Le printemps arriva, dans ces alternatives, pour moi si troublantes, de projets audacieux, de timidités folles, de raisonnements contradictoires, de savantes combinaisons, de naïves ardeurs. Et quel printemps ! Il faut avoir connu l’âpreté de l’hiver dans ces montagnes, puis la subite douceur du renouveau, pour savoir quel charme de vivre flotte dans cette atmosphère quand Avril et Mai ramènent la saison sacrée. C’est d’abord à travers les prairies humides comme un réveil de l’eau qui frémit sous la glace plus mince ; elle la brise, cette glace aiguë, puis elle court, légère, transparente et libre, en chantant. C’est, dans les bois abandonnés, un infini murmure des neiges qui, se détachant une par une, tombent sur les branches toujours vertes des pins, sur le feuillage jauni et desséché des chênes. Le lac, débarrassé de son gel, se prit à frissonner sous le vent qui balaya aussi les nuages, et l’azur apparut, cet azur du ciel des hauteurs, plus clair, semble-t-il, plus profond que dans la plaine, et en quelques jours la couleur uniforme du paysage se nuança de teintes tendres et jeunes. Sur les ramures jusque-là toutes nues, les frêles bourgeons pointèrent. Les chatons verdâtres des noisetiers alternèrent avec les chatons jaunâtres des saules. Même la lave noire de la Cheyre parut