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LE DISCIPLE

triomphant, tandis que j’assistais à ce départ de Charlotte et de son père. J’avais pris congé d’eux au salon comme par délicatesse, afin de ne pas gêner les adieux des dernières minutes, et j’étais remonté dans ma chambre. La poignée de main du marquis, très chaude, très cordiale, m’avait prouvé une fois de plus combien j’étais ancré dans la maison, et j’avais deviné, derrière la froideur voulue de la jeune fille, la palpitation d’un cœur qui ne veut pas se livrer. J’habitais, au second étage, une pièce d’angle, avec une fenêtre qui donnait sur le devant du château. Je me plaçai derrière le rideau de manière à bien voir, sans être vu, la montée dans la voiture. C’était une victoria encombrée de couvertures fourrées et attelée du même cheval bai-cerise qui traînait l’autre jour la charrette anglaise. C’était aussi le même cocher qui se tenait sur le siège, son fouet en main, avec la même immobilité impassible dans sa livrée brune. Le marquis parut, puis Charlotte. Sous le voile et d’en haut, je ne distinguai pas ses traits, à elle, et quand elle releva ce voile pour s’essuyer les paupières, je n’aurais su dire si c’étaient les derniers baisers de sa mère et de son frère qui lui donnaient ce petit accès d’émotion nerveuse ou le désespoir d’une résolution trop pénible. Mais je la vis bien, quand la voiture disparut vers la grille, qui tournait la tête ; et comme les siens étaient déjà rentrés, que