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LE DISCIPLE

le prétexte d’enseignement, je lui avais donné le goût des papillons. Armé de la longue canne et du filet de gaze verte, il était sans cesse à courir loin de moi après les Aurores aux ailes bordées d’orange, les Argus bleus, les Morios bruns, les Vulcains bigarrés et les Citrons couleur d’or. Il me laissait seul avec ma pensée. Tantôt nous suivions cette route de la Pradat maintenant parée de toutes les verdures du printemps, tantôt nous remontions du côté de Verneuge, vers cette vallée de Saint-Genès-Champanelle aussi gracieusement jolie que son nom. Je m’asseyais sur un bloc de lave, fragment minuscule de l’énorme coulée épanchée du puy de la Vache, et là, sans plus m’occuper de Lucien, je m’abandonnais à cette disposition étrange qui m’avait toujours montré, dans cette nature sauvage, comme un symbole saisissant de mes doctrines, un type de fatalité implacable, un conseil d’indifférence absolue au bien et au mal. Je regardais les feuilles des arbres s’ouvrir au soleil. Je me rappelais les lois connues de la respiration végétale, et comment, par une simple modification de lumière, la vie de la plante peut être changée. De même l’on devait pouvoir à son gré diriger la vie de l’âme si l’on en connaissait exactement les lois. J’avais déjà réussi à créer un commencement de passion dans l’âme d’une jeune fille séparée de moi par des abîmes. Quels procédés nouveaux et appliqués avec une