Page:Bourget - Le Disciple.djvu/283

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
282
LE DISCIPLE

viendrait avec la mère. Je la reverrais, je tiendrais une suprême occasion de réveiller en elle l’amour naissant dont j’avais surpris la preuve. Je pourrais dire que ce fut une loyauté de ma part, ce conseil donné au marquis de laisser Mme de Jussat heureuse à Paris. Oui, j’eus cette apparence de loyauté. Pourquoi ? Si je n’étais convaincu qu’il n’y a pas d’effet sans cause et pas de ces loyautés-là sans un secret égoïsme, j’y reconnaîtrais une horreur d’exploiter, au profit d’une passion coupable, le plus noble des sentiments, celui d’une sœur pour son frère. Voici la nue vérité : en essayant de dissuader M. de Jussat, j’étais convaincu que tout effort pour reprendre le cœur de Charlotte serait inutile. Je prévoyais dans ce retour une humiliation certaine. Usé par ces longs mois de luttes intérieures, je ne me sentais plus la force de manœuvrer. Je n’eus donc aucune vertu à représenter au marquis les inconvénients, les dangers même du séjour de ces deux femmes au château, près d’un malade qui pouvait leur communiquer sa maladie.

— « Et moi ? » répondit-il ingénument. « Est-ce que je ne m’expose pas tous les jours ? Mais vous avez raison pour Charlotte ; j’écrirai que je ne la veux pas… »

— « Ah ! Greslou, » me disait-il deux jours après, au reçu d’un télégramme, « voilà ce qu’elles me font : lisez… » Il me tendit la dépêche