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LE DISCIPLE

le souvenir d’un enfant chétif et taciturne, doué d’une force de résistance morale qui éloignait dès lors la familiarité. Il fit des études d’abord très brillantes, puis moyennes, jusqu’à ce que, dans la classe de philosophie, qui portait le nom de Logique, il se distinguât par des aptitudes exceptionnelles. Son professeur, frappé de son talent de métaphysicien, voulut le décider à préparer l’examen de l’École normale. Adrien s’y refusa et déclara d’ailleurs à son père que, métier pour métier, il préférait à tous un travail manuel. « Je serai horloger comme toi … » fut sa seule réponse aux objurgations de ce père, qui caressait, comme les innombrables artisans ou commerçants français dont les enfants fréquentent le collège, le rêve, pour son fils, d’un avenir de fonctionnaire. M. et Mme Sixte — car Adrien avait encore sa mère — ne pouvaient d’ailleurs reprocher quoi que ce fût à ce garçon qui ne fumait pas, n’allait pas au café, ne se montrait jamais avec une fille, enfin qui faisait leur orgueil, et aux volontés duquel ils se résignèrent, le cœur navré. Ils renoncèrent à ce qu’il prit aucune carrière, mais ils ne consentirent pas à le mettre en apprentissage ; et le jeune homme vécut chez eux sans autre occupation que d’étudier à sa guise. Il employa ainsi dix années à se perfectionner dans l’étude des philosophies anglaises et allemandes, dans les Sciences Naturelles et particulièrement dans la