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LE DISCIPLE

jouait derrière ce mince rempart de bois que j’aurais fait sauter de l’épaule si vite pour lui porter secours. Rien. Je n’entendis rien. Les premières rumeurs du château commençaient de monter des sous-sols. Les gens de service se réveillaient. Je dus rentrer chez moi et je m’habillai. Dès six heures j’étais dans le jardin, sous la fenêtre de la jeune fille, mon imagination en panique me l’avait montrée s’élançant par cette fenêtre et gisant à terre, les membres brisés. Je vis ses volets fermés, et, au bas, la plate-bande intacte avec sa ligne de rosiers où s’épanouissaient les dernières roses, frissonnantes et frileuses dans ce demi-jour glacé d’automne. Elle m’avait parlé, cette nuit, du charme qu’elle goûtait, dans ses heures de détresse et quand elle m’aimait sans me le dire, à s’accouder le soir au-dessus de ce parterre de roses et à respirer l’arôme de ces douces fleurs, épars dans la brise. J’en cueillis une au hasard, et sa senteur me fit défaillir. Pour tromper une anxiété que chaque minute rendait plus intense, je marchai droit devant moi, dans la campagne noyée de vapeurs, par ce gris matin de novembre. J’allai très loin, puisque je dépassai dans cette course désordonnée le village de Saulzet-le-Froid, et pourtant, dès huit heures, j’étais en bas, à déjeuner, ou faire semblant, dans la salle à manger du château. C’était le moment, je le savais, où la femme de chambre entrait chez Mlle de Jussat.