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LE DISCIPLE

dition, et à cette condition tragique j’avais répondu « oui » avant, et « non » après. Hé bien ! Ce que vous appelez, mon cher maître, l’orgueil du mâle est si fort, et le fait d’avoir vraiment possédé une femme, d’avoir eu d’elle et son corps, et son âme, et ses sentiments, et ses sensations, satisfait cet orgueil si complètement, que l’atroce humiliation du mépris de Charlotte ne m’atteignait pas comme autrefois son silence après la première déclaration, sa fuite loin du château, ses fiançailles. Elle me méprisait, mais elle avait été à moi. Je l’avais tenue entre mes bras, ces bras-ci, et le premier. Oui, j’ai souffert cruellement entre cette nuit de délire et mon départ définitif de la maison. Pourtant ce ne fut pas le désespoir aride et vaincu de cet été, l’abdication totale dans la détresse. Je gardais au fond de mon être, je ne peux pas dire un bonheur, mais un je ne sais quoi d’assouvi qui me soutenait dans cette crise. Quand Charlotte passait devant moi, sans plus me regarder qu’un objet oublié là par quelque domestique, je la contemplais qui montait l’escalier, qui suivait le corridor, et je me la représentais en souvenir, ses cheveux défaits, ses pieds nus, sa bouche sur ma bouche, dans cet abandon virginal de toute sa personne qu’elle ne pourrait plus jamais, jamais, avoir pour aucun autre. Cela me faisait un mal horrible que cette nuit d’amour eût été si courte, si unique, et ne dût pas recommencer. Pour une