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LE DISCIPLE

tique et qui poussait l’économie jusqu’à se tailler ses casaques d’appartement dans les vieilles redingotes du savant, prouvera mieux que toutes les analyses quelles inquiétudes inspirait à ces petites gens la métamorphose opérée dans cet homme qui traversait en effet une crise morale, pour lui terrible. Ne se sachant pas regardé, il en laissait voir l’extrême intensité dans ses moindres gestes aussi bien que dans les traits de son visage. Depuis la mort de sa mère, il n’avait pas connu d’heures aussi dures, et du moins la souffrance infligée alors par l’irréparable séparation était demeurée toute sentimentale ; au lieu que la lecture du mémoire de Robert Greslou avait du coup atteint le philosophe dans le centre même de son être, au plus profond de cette vie intellectuelle, sa seule raison d’exister. Au moment où il donnait à Mariette l’ordre de préparer sa valise pour son départ, il était aussi pénétré d’épouvante que dans la nuit où il feuilletait ce cahier de confidences. Elle avait commencé, cette épouvante consternée, dès les premières pages de ce récit où une criminelle aberration d’âme était étudiée, comme étalée, avec un tel mélange d’orgueil et de honte, de cynisme et de candeur, d’infamie et de supériorité. À rencontrer la phrase où Robert Greslou se déclarait lié à lui par un lien aussi étroit qu’imbrisable, le grand psychologue avait tressailli, et il avait tressailli de même à chaque