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LE DISCIPLE

véracité qui suffisait à sauver une tête. Allait-il la laisser tomber, cette tête, lui, le confident des misères, des hontes, des perfidies du jeune homme, mais qui savait aussi que ce scélérat intellectuel n’était pas un meurtrier ? Sans doute il était lié par l’engagement tacite contracté en ouvrant le manuscrit. Cet engagement-là était-il valable devant la mort ? Il y avait, dans ce solitaire assailli depuis un mois par la tourmente morale, un tel besoin physique d’échapper au rongement inefficace et stérile de sa pensée par une volonté positive, qu’il éprouva comme une détente lorsqu’il se fut enfin fixé à un parti. D’autres journaux, consultés anxieusement, lui apprirent que l’affaire Greslou passait aux assises de Riom le vendredi 11 mars. Le 10, il donnait à Mariette cet ordre de préparer sa valise qui avait tant surpris sa servante, et le soir même il prenait le train après avoir jeté à la poste une lettre adressée à M. le comte André de Jussat, capitaine de dragons, en garnison à Lunéville. Cette lettre, non signée, contenait simplement ces lignes : « Monsieur le comte de Jussat a en main une lettre de sa sœur qui contient la preuve de l’innocence de Robert Greslou. Permettra-t-il que l’on condamne un innocent ? » Le psychologue nihiliste n’avait pas pu écrire les mots droit et devoir. Mais sa résolution était prise. Il attendrait que le procès fût fini pour parler, et si M. de Jussat se taisait jus-