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LE DISCIPLE

Mais quoi ! le même début intime serait à recommencer alors. Lui, l’homme d’action et pour qui l’incertitude était un malaise intolérable, il en était là, après trois mois, à n’avoir pas pris parti, car en descendant au fond, bien au fond de lui-même, il sentait que son silence actuel n’était encore qu’une résolution momentanée. Il n’avait pas accepté de se taire jusqu’à la fin. Il remettait de parler, mais il ne s’était pas serré la main et donné sa parole qu’il ne parlerait pas. C’était la raison pour laquelle il lui avait été physiquement impossible d’accompagner son père au Palais de Justice pendant cette première séance, dont il allait avoir le compte-rendu, — puisque midi sonnait maintenant à la pendule, douze coups très grêles suivis aussitôt d’un carillon dans le clocher d’une église voisine. Le vieux Jussat ne pouvait tarder à revenir.

— « Mon capitaine, voilà M. le marquis, » dit l’ordonnance, qui avait entendu le roulement d’une voiture, puis son arrêt devant l’hôtel, après un regard jeté par la fenêtre.

— « Hé bien, mon père ? » demanda André anxieusement sitôt que le marquis fut entré.

— « Hé bien ! nous avons le jury pour nous, » répondit le nouvel arrivant. M. de Jussat n’était plus le maniaque brisé dont Greslou s’était moqué si amèrement dans son mémoire. Il avait les yeux brillants, de la jeunesse dans la voix et dans les