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LE DISCIPLE

honte, — la honte d’un homme qui a chargé des bravi d’une besogne de mort. Ces gendarmes et ces magistrats, il les employait comme des bravi en effet, comme les ouvriers d’une action qu’il eût tant aimé à exécuter lui-même, de ses mains et sous sa responsabilité !… Décidément, oui, c’était lâche de n’avoir pas parlé. Et puis ce regard lancé par l’accusé au marquis de Jussat, que signifiait-il ? Greslou savait-il que Charlotte avait écrit sa lettre d’aveux à la veille de son suicide ? Et s’il le savait, que pensait-il ? La seule idée que ce jeune homme pût soupçonner la vérité et les mépriser, le marquis et lui, de leur silence alluma la fièvre dans le sang du comte.

— « Non, » se dit-il quand son père fut parti pour la reprise de la séance, après un déjeuner mangé à la hâte et presque sans échanger un mot, « je ne peux pas me taire. Je parlerai ou j’écrirai… »

Il s’assit à la table, et il commença de tracer machinalement ces mots en tête d’une feuille : « Monsieur le président… » Le soir tombait, et cet homme malheureux était encore à cette place, le front dans sa main, n’ayant pas écrit la première ligne de cette lettre. Il attendait les nouvelles de la seconde séance, et ce fut avec un saisissement qu’il entendit son père en raconter le détail :

— « Ah ! mon bon André ! Que tu as eu raison