Page:Bourget - Le Disciple.djvu/365

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son cœur qui pourtant ne défaillit pas quand le président, après avoir demandé au défenseur et au procureur général s’ils ne s’opposaient pas à l’audition du témoin, lui fit décliner ses noms et qualités et prêter serment suivant la formule. Les magistrats qui ont assisté à cette scène sont unanimes à dire qu’aucune émotion d’assises ne fut jamais comparable à celle qui saisit toute la salle et qui les saisit eux-mêmes quand cet homme, dont tous connaissaient le passé héroïque par les articles des journaux publiés à l’occasion du procès, commença, d’une voix pourtant ferme, mais où l’on devinait l’atroce douleur :

— « Messieurs les jurés, je n’ai que deux mots à dire. Ma sœur n’a pas été assassinée, elle s’est tuée. La veille de sa mort, j’ai reçu une lettre d’elle où elle m’annonçait sa résolution de mourir, et pourquoi… Messieurs, j’ai cru avoir le droit de cacher ce suicide, j’ai brûlé cette lettre… Si l’homme que vous avez devant vous » — et il montra Greslou de sa main en se tournant à demi vers l’accusé — « n’a pas versé le poison, il a fait pire… Mais ce n’est pas de votre justice qu’il relève, et il ne doit pas être condamné comme assassin… Il est innocent… À défaut d’une preuve matérielle que je ne peux plus vous donner de cette innocence, je vous apporte ma parole. »

Ces phrases tombaient une à une, dans une