Page:Bourget - Le Disciple.djvu/49

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
48
LE DISCIPLE

au point de leur faire quitter la place où ils chuchotaient :

— « Il est de la police, » dit le mari à sa femme.

— « Tu crois ? » reprit la femme en regardant l’énigmatique et immobile figure avec terreur. Dieu ! qu’il a l’air faux !… »

Pendant que se jouait cette scène profondément comique, sans que l’observateur professionnel du cœur humain se doutât une seule minute de l’effet qu’il produisait, ni même qu’il y eût quelqu’un à côté de lui, le juge d’instruction causait avec un ami dans une petite pièce attenante à son cabinet. Embellie par les autographes et les portraits de quelques malfaiteurs fameux, cette pièce servait en même temps à M. Valette de chambre à toilette, de fumoir et aussi de retiro, quand il voulait bavarder hors de l’inévitable présence de son commis-greffier. Ce juge était un homme de moins de quarante ans, avec un joli profil, des vêtements coupés à la mode, des bagues aux doigts, enfin un magistrat de la nouvelle école. Dans la rue, avec son ruban de chevalier, son veston ajusté et son chapeau luisant, vous l’eussiez pris pour un boursier décoré à propos d’une émission. Il tenait à la main le papier sur lequel le savant avait écrit son nom, d’une écriture claire et toute liée, et il montrait cette signature à son ami, un simple homme de