Page:Bourget - Le Disciple.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
50
LE DISCIPLE

— « Convenu… Tu sais son dernier mot à Gladys. Comme nous reprochions devant elle à Perey de tromper Gustave : « Mais il faut bien qu’elle ait deux amants, puisqu’elle dépense par an le double de ce que chacun lui donne !… »

— « Ma foi, » dit Valette, « Je crois que celle-là en remontrerait sur la philosophie de l’amour à tous les Sixtes du monde et du demi-monde… »

Les deux amis rirent gaiement, puis le juge donna l’ordre qu’on appelât le philosophe. Le curieux, tout en prenant congé de Valette par une poignée de main et un nouveau : « À ce soir, huit heures très précises, » cligna de l’œil derrière son monocle afin de mieux dévisager l’illustre écrivain qu’il connaissait pour avoir lu des extraits piquants de la Théorie des passions dans des articles de journaux. L’apparition du bonhomme à la fois excentrique et timide qui entrait dans le cabinet du juge avec la plus visible gêne démentait si fort l’idée du misanthrope mordant, cruel et désabusé, ébauchée dans leur imagination, que les deux hommes, le boulevardier et le magistrat, échangèrent un regard de stupeur. Un sourire leur vint irrésistiblement aux lèvres, mais cela ne dura qu’une seconde. Déjà l’ami était parti. L’autre fit signe au témoin de s’asseoir sur un des fauteuils de velours vert dont était meublée cette pièce, — luxe complété, à la manière administrative, par un tapis d’une moquette verte aussi et par un