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LE DISCIPLE

l’amant. Greslou ne put d’ailleurs expliquer la raison pour laquelle il avait acheté la noix vomique, abusant ainsi de la confiance du pharmacien avec lequel il était lié. Il fut démontré que jamais auparavant il ne s’était plaint de maux d’estomac. Il n’expliqua pas davantage l’invention du faux télégramme, son départ précipité, ni surtout le trouble effroyable où l’avait jeté la découverte de l’empoisonnement. D’ailleurs aucun autre mobile que celui d’une vengeance d’amoureux éconduit n’était admissible, par ce simple fait que la victime avait tous ses bijoux, tout l’argent de son porte-monnaie, et que son corps ne portait la trace d’aucune espèce de violence. On reconstruisit ainsi la scène : Greslou s’était introduit dans la chambre de Mlle de Jussat-Randon, sachant qu’elle dormait généralement jusqu’à deux heures, puis qu’à ce moment elle se réveillait pour prendre sa potion. Il avait mélangé à cette potion une dose de noix vomique suffisante pour foudroyer la jeune fille, qui n’avait eu que le temps de reposer le verre sans pouvoir appeler. Puis il avait eu peur que son émotion ne le trahît, et il était parti précipitamment avant la découverte du corps. La bouteille vide et retrouvée sur la plate-bande, il avait dû la jeter par la fenêtre de la chambre d’étude qui ouvrait juste au-dessus de celle de Mlle Charlotte. L’autre bouteille, il avait dû la remplir d’eau par une de ces ruses compliquées