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LE DISCIPLE

ces théories une démonstration, que j’ose croire définitive, dans mon Anatomie de la volonté… »

— « Avez-vous quelquefois abordé ces sujets avec Robert Greslou ? » demanda le juge. « Et croyez-vous qu’il partageât vos idées ? »

— « Très probablement, » dit le philosophe.

— « Savez-vous, monsieur, » reprit le magistrat démasquant ses batteries, » que vous venez presque de justifier les accusations de M. le marquis de Jussat, qui prétend que les doctrines des matérialistes contemporains ont détruit le sens moral chez ce jeune homme et l’ont rendu capable de ce meurtre ? »

— « Je ne sais pas ce qu’est la matière, » fit M. Sixte, « je ne suis donc pas matérialiste. Quant à rejeter sur une doctrine la responsabilité de l’interprétation absurde qu’un cerveau mal équilibré donne à cette doctrine, c’est à peu près comme si on reprochait au chimiste qui a découvert la dynamite les attentats auxquels cette substance est employée. C’est un argument qui ne compte pas… Le ton avec lequel le philosophe prononça cette phrase révélait la force invincible de résistance spirituelle que donne la foi profonde, — comme une timidité presque enfantine devant les tracas de la vie matérielle se révéla dans l’accent avec lequel il demanda tout d’un coup : « Croyez-vous que je serai obligé d’aller à Riom pour déposer ? »