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LE DISCIPLE

d’autre mérite, celui de croire profondément au sérieux de son art. — Puisses-tu trouver dans ces lignes mêmes la preuve qu’il pense à toi, anxieusement. Oui, il pense à toi, et cela depuis bien longtemps, depuis les jours où tu commençais d’apprendre à lire, alors que nous autres, qui marchons aujourd’hui vers notre quarantième année, nous griffonnions nos premiers vers et notre première page de prose au bruit du canon qui grondait sur Paris. Dans nos chambrées d’écoliers on n’était pas gai à cette époque. Les plus âgés d’entre nous venaient de partir pour la guerre, et nous qui devions rester au collège, du fond de nos classes à demi désertes nous sentions peser sur nous le grand devoir du relèvement de la Patrie.

Nous t’évoquions souvent alors, dans cette fatale année 1871, jeune Français de maintenant, — nous tous qui voulions vouer notre effort aux Lettres. Mes amis et moi, nous répétions les beaux vers de Théodore de Banville :


Vous en qui je salue une nouvelle aurore,
Vous tous qui m’aimerez,
Jeunes hommes des temps qui ne sont pas encore,
Ô bataillons sacrés !


Cette aurore de demain, nous la voulions aussi rayonnante que notre aurore à nous était mélancolique et embrumée d’une vapeur de sang. Nous souhaitions mériter d’être aimés par vous, nos cadets nés de la veille, en vous laissant de quoi valoir mieux que