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LE DISCIPLE

sa tranquillité matérielle. Il y avait ensuite le polémiste philosophique, l’auteur, pour tout dire, animé, à son insu, du susceptible amour-propre commun à tous les écrivains. Il y avait enfin le grand psychologue, passionnément attaché aux problèmes de la vie intérieure, et il fallait, pour qu’une idée eût accompli sa pleine action sur cet esprit, qu’elle eût traversé ces trois compartiments.

Du Palais de Justice jusqu’aux premiers pas au bord de la Seine, ce fut le bourgeois qui raisonna : « Oui, » se disait M. Sixte, répétant le mot que la vue de l’horloge lui avait arraché, « voilà qui est bien désagréable. Une journée tout entière perdue, et pourquoi ?… Je vous demande un peu ce que j’avais à faire avec cette histoire d’assassinat et ce que mon témoignage a dû apporter à l’instruction !… » Il ne se doutait pas qu’entre les mains d’un avocat habile ses théories sur le crime et la responsabilité pouvaient devenir contre Greslou la plus redoutable des armes. « C’était bien la peine, » continuait-il, « de me déranger. Mais ces gens ne se doutent pas de ce qu’est la vie d’un homme qui travaille… Quel minus habens que ce juge avec ses questions imbéciles !… Pourvu qu’en effet je ne sois pas obligé d’aller comparaître à Riom devant quelques autres individus de même sottise ?… » Le tableau d’un départ se peignit de nouveau devant sa rêverie avec les caractères